En coulisse avec... eddy king
une série photographique de jessica valoise
« En Coulisse » est une immersion temporaire dans l’univers hors de la scène d’un artiste choisi. Un regard extérieur, porté de l’intérieur, où l’auteure capture des instants, interroge, et répond au questionnement de ce qui fait que l’artiste est ce qu’il est, dans tout sa singulière normalité.
Cette année, l’humoriste Eddy King fête ses dix ans de carrière. Ce qui marque le plus dans son jeu, c’est l’intelligence de ses propos, qui touchent et font rire en même temps. J’ai alors saisi l’occasion du Festival International Juste Pour Rire 2016, le plus grand festival de comédie au monde pour découvrir qui se cache derrière le personnage.
23 juillet 2016 – Nous sommes dans les loges du théâtre Impro Montréal. Eddy vient tester un numéro de sept minutes : une adaptation en anglais de son matériel, pour un enregistrement qui aura lieu dans quelques jours au Théâtre Berri, pour la télévision américaine. On appelle cet exercice un « warm-up ».
La poche d’Eddy est pleine de pass. Ce sont les différents pass, « invité », « artiste », donnant accès aux loges, aux soirées privées, aux conférences, aux spectacles, pour les deux semaines de festival.
« J’ai choisi ce qui était le pus universel dans mon matériel, ce qui toucherait le plus, et aussi le matériel que j’aime encore performer. »Son numéro, initialement en français, doit s’adapter non seulement à la langue anglaise, mais aussi à la culture anglophone américaine : le rythme est différent, les chutes des blagues aussi. Eddy a pu identifier les points forts de son numéro et ce qui doit être corrigé.
24 juillet 2016 – Eddy se présente en début d’après-midi à la salle Wilfrid-Pelletier pour effectuer les balances, c’est-à-dire le réglage des éclairages et des niveaux sonores de son micro, en vue du show de ce soir. Le thème c’est la politique : gauche vs droite.
Eddy est en pleine explication avec la metteure en scène : un autre humoriste de la programmation de ce soir vient de faire ses balances, et le sujet de son numéro est le même que celui d’Eddy, c’est-à-dire l’homophobie. Est-elle au courant? Étant donné que les numéros doivent être envoyés plusieurs mois avant le gala pour validation, ont-ils fait une erreur d’inattention? Est-ce correct comme ça ou cela pose-t-il problème et un changement doit être effectué?
« Quand on est noir, on doit en faire deux fois plus. On doit être irréprochable! On n’a pas le droit à l’erreur. »Eddy en parle dans plusieurs de ses sketchs, toujours de manière intelligente et touchante. Son discours rassemble, plus qu’il ne divise, et fait réfléchir.
EN ROUTE POUR LE GALA : LES LOGES
En loge, Eddy demande conseil à son agent de carrière François, et aux humoristes partageant sa loge, sur la tenue qu’il devrait porter ce soir. Les voix sont unanimes, ce sera le dashiki, ou ya mado, en congolais.
Son dashiki au repassage, Eddy attend patiemment et en profite pour demander quelques conseils d’entretien.
Eddy est maintenant habillé, coiffé, presque prêt à monter sur scène.
Son collier en corne de zébu, c’est un peu sa « marque de fabrique ». Avec le dashiki, c’est une envie toute naturelle d’honorer ses origines.
Ce soir, les chaussures seront une paire de Dunk rouge et grise.
Eddy commence à se concentrer. Avant qu’il ne rentre dans sa zone, je lui demande si, habituellement, il ressent du stress avant le show.
« Ça dépend de l’enjeu mais en général non. Mes premiers Galas Juste Pour Rire, oui, mais maintenant j’essaye de relaxer. Mon tout premier show, j’étais stressé. Mais en même temps j’avais déjà fait de la scène avant, quand j’étais rappeur, donc c’était quand même quelque chose que je connaissais, dont j’avais l’habitude… Ce qui va me stresser c’est plutôt ce qu’il y a à côté, la partie business, préparatifs et tout ça. Mais quand tu montes sur scènes, c’est là que tu livres ce que tu as préparé, c’est là que tu t’exprimes, c’est un happy time. »
Nous sommes maintenant à quelques secondes de l’entrée sur scène d’Eddy, caché derrière ce mur. Eddy est maintenant concentré, prêt à faire le show. Je le laisse dans sa zone et évite de le distraire.
En régie nous suivons le show sur les écrans. C’est Guillaume Wagner, animateur du gala aux côté de Guy Nantel, qui annonce Eddy :
« Lui et moi on a commencé ensemble […] et je suis tellement fier de le voir sur ce gala là pour lui montrer que j’ai réussi. »
Eddy reçoit une standing ovation. Il sort de scène heureux, sourire joyeux sur le visage, encore poussé par l’adrénaline provoquée par la scène, ce happy time. Sur son passage il est félicité par les autres humoristes et techniciens. Il est satisfait de son passage, en toute humilité.
François et Gigi félicitent Eddy. Gigi semble fière de lui, et lui porte le même regard qu’une mère porterait à son fils.
26 juillet – Les journées sont longues, les nuits sont courtes. Eddy réécoute son set dans la voiture, celui qu’il avait enregistré au théâtre Impro Montréal. Il semblerait que la route soit le seul moment de « calme » pour se concentrer. Je lui demande si il est stressé.
« Un peu. Ça représente l’aboutissement de beaucoup de travail, le début de la réalisation d’un grand rêve. »
Ce tournage, c’est pour la nouvelle plateforme télévisée de service à la demande de Kevin Hart : Laugh Out Loud Network. C’est une série de six soirées, où Kevin Hart a choisi à travers le monde entier, douze comédiens pour chaque soir. Eddy est programmé sur la première soirée.
Eddy s’est acheté une paire de sneakers pour l’occasion. « Encore?? » Je lui demande. « Ouai, elles passent bien à la télévision ». Il y a toujours une bonne raison de s’acheter une nouvelle paire de sneakers, right? Le choix des vêtements est réfléchi : une chemise, un t-shirt? Entre ses goûts mais aussi ce qui « passe » à l’écran.
Rachid Badouri, celui qui lui a confié la première partie de son spectacle 2010, est toujours là, aux côtés d’Eddy. Ici, il lui donne ses impressions sur sa prestation, des conseils, etc. Selon lui, c’était une prestation difficile où Eddy s’en est bien sorti.
En coulisse, Neev taquine Eddy et lui montre la captation qu’il a prise de lui. Eddy nous demande immédiatement comment il était, si ça paraissait qu’il était stressé, etc. Pour François, Gigi, et Neev, il s’en est très bien sorti.
29 juillet – Eddy est au maquillage, pour l’enregistrement live de la remise des prix du Festival, toujours sous l’oeil bienveillant de François. Ce dernier lui a dit qu’il était invité à parler durant l’enregistrement, qu’on lui poserait quelques questions sur le déroulement du festival. En fait, cette soirée lui réserve une toute autre surprise. François m’a mise dans la confidence depuis deux jours, et l’impatience commence sérieusement à me gagner. J’ai hâte de voir la réaction d’Eddy.
François et Eddy ont une belle complicité. Il est son agent depuis un peu plus d’un an, et Eddy en avait plus que besoin. Une relation de confiance, indispensable dans le métier, les lie : François laisse Eddy libre de sa démarche artistique, Eddy le laisse libre de ses techniques de gestion. Chacun comprend les besoins de l’un et de l’autre et y répond.
En chemin vers le plateau, l’émission va bientôt commencer. Et même si Eddy ne passera pas tout de suite à l’antenne, il doit rester dans le coin. L’impatience et l’excitation sont maintenant à leur comble.
Alors que nous assistons à l’émission derrière le public, la régisseuse vient remettre le prix à Eddy. Celle-ci n’est pas au courant qu’Eddy n’est pas au courant.
« Alors voilà ton prix, je te le donne maintenant avant que tu rentres sur scène, tu passes dans quelques instants ».
Eddy ne réalise pas tout de suite.
« C’est pour moi ça?! »
Eddy réalise enfin. Et la régisseuse réalise qu’elle vient de surprendre Eddy.
Complices, nous rigolons. Eddy oscille entre surprise, espoir réalisé, joie, émotions…
Eddy, pas tout à fait remis de ses émotions, remercie le festival de lui avoir décerné le prix coup de coeur du festival.
« C’est le retour du phoenix ».
En effet, Eddy a traversé quelques difficultés. À un certain moment, beaucoup de gens n’auraient pas donné très cher de sa carrière. Tout se passait mal, les gens ne portaient plus attention à lui, ne voulaient pas travailler avec lui, toutes les portes se fermaient en même temps, et ça été une vraie bataille pour remonter cette pente. Des remises en question, du travail, un meilleur entourage professionnel…
Après l’enregistrement, Eddy prend le temps de poser avec une dizaine de fans. Il semble être un peu le chouchou, que ça soit des médias, des professionnels du milieu, ou du public. Il est souvent arrêter dans la rue pour être complimenté, par des personnes de tout âge, toute origine et tout milieu. Le dernier en date était un vieux monsieur québécois :
« Ça prend du talent pour ramener l’émotion et le rire en même temps monsieur, bravo, continuez comme ça. »
Le fait qu’il plaise à tant de diversité n’est certainement pas étranger à ces origines mixtes. En effet, Eddy est un québécois, né en France où il aura vécu douze ans, et originaire du Congo où il aura vécu un an.
« On est tous un peu timide tu sais, me dit Eddy. Moi par exemple, quand des personnes dans la rue me reconnaissent et m’abordent, je ne suis pas toujours à l’aise et je peux paraître froid. Il y a de la méfiance là-dedans, je me protège un peu, mais il y a aussi une part de timidité, de gêne. Ça m’intimide. Mais dans la vie de tous les jours sinon, je ne suis pas timide. »
« J’aime beaucoup cette photo. Elle dit tellement de choses! Tu vois, vu comme ça, on est complètement différents, on a rien à voir. Et pourtant, on s’entend, on se comprend, on travaille ensemble. »
Et plus que ça, c’est une réelle affection qui les lie, une réelle complicité et relation de confiance.
C’est Juste Pour Rire directement qui a organisé le show. L’enjeu est important. Il ne s’agit pas de Mike Ward, il ne s’agit pas d’Eddy King, ni de Juste Pour Rire. Il s’agit de la profession. De l’art. De la liberté d’expression.
Pour Eddy, il est clair qu’il faut défendre la liberté d’expression.
« Je la défendrai à jamais. Il ne peut pas y avoir de limite à la liberté d’expression. Les gens veulent mettre des limites à ce qu’ils ne veulent pas entendre. Ils ne comprennent pas qu’en mettant ses limites, eux aussi se limitent à ce qu’ils peuvent dire. Le jour où ils devront défendre leurs droits ou dire ce qu’ils veulent, quelqu’un pourra venir leur dire qu’ils n’ont pas le droit de dire ça. Simplement parce qu’une société aura décidé de ça. Il y a beaucoup de choses qui m’offensent et qui me dérangent, mais si j’interdis les gens de le dire, ça fait qu’un jour moi je ne pourrais pas dire ce que je veux si je dois me défendre. Et en tant que jeune homme noir, il y a encore beaucoup de travail à faire, par rapport au respect, à la justice. »
C’est au tour d’Eddy d’introduire Guillaume Wagner :
« Lui et moi on a commencé ensemble […] et je suis tellement fier de le voir sur ce show ce soir pour lui montrer que j’ai réussi. »
Ça ne vous rappelle rien?
C’est ainsi que le festival Juste Pour Rire 2016 se clôture pour Eddy King. Le moment le plus important de l’année pour lui, là où il est le plus occupé, là où il fait les meilleures rencontres. Surtout en tant qu’artiste de la relève, c’est un moment qu’il prépare pendant tout l’hiver, en espérant être dans les galas, etc. Deux semaines intenses dont il lui faudra un bon mois pour se remettre.
« Mon meilleur festival » dira-t-il.
Et nous lui en souhaitons d’autre, encore meilleurs!
© Jessica VALOISE. Les photos publiées ne sont pas libres de droit. Le téléchargement, la diffusion, reproduction, distribution, communication des images ne peut s’effectuer qu’avec l’accord de l’auteur.