Date de la dernière mise à jour : 12 juin 2020
« Je ne retouche pas mes photos, c’est de la triche. », « Ses photos sont belles, mais c’est facile, elles sont ultra-retouchées. », « Il a un super appareil qui fait de belles photos. », etc.
Voilà des phrases que nous pouvons entendre assez régulièrement, et qui viennent poser la question : Retoucher ses photos, c’est tricher?
Ce débat ne date pas d’hier, ni même de la photographie numérique. En 1945, on pouvait déjà lire dans l’ouvrage « La Photographie et ses applications » de Jean Prinet :
Il faut souvent repiquer le cliché ou l'épreuve, c'est-à-dire boucher de petites taches avec un pinceau très fin, ou même les retoucher pour éclaircir ou foncer la gélatine. Certains retoucheurs de clichés sont des techniciens éprouvés qui obtiennent des résultats remarquables (...). Et voilà les photographes divisés (...) les uns prônant la retouche comme indispensable, les autres la qualifiant de trahison.
Jean Prinet
Depuis 2017 en France, un décret impose la mention obligatoire « photographie retouchée » sur tous les clichés à usage commercial, « lorsque l’apparence corporelle des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d’image, pour affiner ou épaissir leur silhouette ». Récemment, nous avons pu assister à l’exclusion de participants à des concours photo pour cause d’écart trop important entre l’image proposée et le fichier brut.
La question de la retouche est alors d’autant plus fréquente aujourd’hui, autant par les excès des photographies des magazines de mode largement décriés, que par l’accès au numérique grandement facilité et répandu qui a permis une démocratisation de la retouche numérique.
1. RETOUCHER, C’EST QUOI?
Il serait alors intéressant de savoir dans un premier temps, ce dont nous parlons.
La retouche est un terme vulgarisé, qu’il vaudrait mieux renommer « post-traitement ». Il s’agit là de l’ensemble des opérations suivant la prise de vue : le développement des photographies, le traitement, la retouche, etc.
Dans ce post-traitement, il y a donc le développement des photographies, qui à l’origine correspond au fait de passer les négatifs au tirage papier pour l’argentique, et les fichiers de la carte mémoire aux images sur le logiciel de développement photo pour le numérique.
Le traitement des photographies concerne le recadrage, le réglage de la balance des blancs, de la luminosité, des contrastes, etc. Le traitement est le prolongement naturel de la prise de vue et du développement, et en est indissociable depuis l’invention de la photographie.
La retouche vient modifier ou corriger l’image en ajoutant ou supprimant des éléments, souvent dans le cadre d’une démarche artistique.
2. LA RETOUCHE EN PHOTOGRAPHIE ARGENTIQUE
En chambre noire, avec les différents bains, les différents produits, l’utilisation de feuilles colorées, de gouache pour masquer certaines zones afin d’augmenter ou diminuer l’exposition, de couteaux pour faire disparaître un élément… On réalise exactement les mêmes traitements de lumière, de contraste, de couleurs que sur Photoshop ou Lightroom.
La seule différence est la rapidité et la simplicité (toutefois relative) d’utilisation des logiciels numériques, l’aspect non définitif de nos actions et la possibilité de revenir en arrière (plutôt que de réaliser de multiples tirages avant satisfaction), et le coût relativement économique, en tout cas comparé au matériel nécessaire dans une chambre noire.
Qu’il s’agisse de traitement ou de retouche photo, les logiciels numériques actuels de retouche d’image n’ont rien inventé et ne font que reprendre les outils des chambres noires. On retrouve d’ailleurs dans le logiciel de retouche Lightroom (l’inverse de la « darkroom »), l’onglet « Développement », où l’on traite nos images.
3. L’INTENTION PHOTOGRAPHIQUE
Avant de se demander si en retouchant nos photos nous trichons, il serait intéressant de se demander quelle est notre intention : notre objectif, notre message, à qui on s’adresse.
Ici, dans le cadre d’un voyage, est-ce que je souhaite rapporter avec moi des photos souvenirs, faire rêver et voyager mon entourage, partager ma vision à travers un reportage ou des séries photo, ou encore est-ce que je répond à une commande journalistique, et donc, d’information?
• LE PHOTO-JOURNALISME
Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
Charte de Munich
Nous reviendrons plus tard sur la notion de vérité et de réalité en photographie, mais nous pouvons déjà comprendre que pour des raisons déontologiques, on ne peut retoucher une image en photo-journalisme. Cependant, cela n’exclue pas le droit de mettre en valeur l’intention que l’on veut donner à la photo en traitement notre image (recadrage, contrastes, couleurs…).
• LA PHOTO SOUVENIR
Dans le cas d’une démarche de photos souvenirs où l’on ferait des photos sans trop y réfléchir, juste pour garder une trace, la question se pose assez peu car il n’y aurait pas grand intérêt à se prêter au fastidieux exercice de la retouche.
Cependant, on peut vouloir rendre ses photos plus belles et corriger par exemple la balance des blancs, l’exposition, améliorer la netteté, augmenter ou diminuer la saturation…
• LA DÉMARCHE ARTISTIQUE
Au début du siècle dernier, Robert Demachy, théoricien de la photographie, incitait les photographes à retoucher leurs photos afin de savoir si c’était l’appareil photo ou bien le photographe qui réalisait l’image. En faisant des ajustements, le photographe apportait sa touche artistique et la photographie devenait alors une création artistique.
Dans une démarche donc plus intimiste, dans le cadre d’un reportage ou de la réalisation de séries photos par exemple, où nous cherchons plus à raconter quelque chose avec nos images, la retouche est alors la continuité du travail de prise de vue et fait de notre photographie un art à part entière. Nous sommes nombreux à voyager dans des mêmes lieux, mais nous avons tous notre propre vision des choses.
Il existe une infinité de manières de développer une image, et si dix photographes se retrouvent à traiter la même image, il y aura dix interprétations différentes.
Voici un exemple de deux photographies qui ont été retouchées par dix photographes professionnels différents :
Crédits photographes : Jessica Valoise ; Spry ; Bob Losty ; Céline ; Xavibes ; Adil Boukind; Milie Pix ; Rodrigo Gonzales.
4. « MONTRER LA RÉALITÉ », UNE VÉRITÉ TOUTE RELATIVE
Mais alors, à quel moment parlons nous de réalité, de vérité de la scène, comme nous avons pu le voir avec le photo-journalisme? On entend souvent « Je veux montrer la réalité telle quelle », or nous allons voir que c’est précisément en retouchant ses photos que l’on se rapproche de la réalité.
• LA RÉALITÉ TECHNIQUE DES CAPTEURS
Techniquement, aucun appareil photo ne permet aujourd’hui de capturer une image exactement fidèle à la réalité de notre œil, qu’il s’agisse de pellicule ou de pixels. Et les meilleurs exemples sont sans aucun doute les photos de soleil et les photos de nuit.
On a tous déjà assisté à un ciel violet, rose, bleu, de mille teintes, que nous avons pris en photo et qui est ressorti complètement fade avec des zones sur-exposée et d’autres sous-exposées. C’est normal : nos yeux ont une dynamique bien supérieure aux capteurs et pellicules photo qui nous permet de voir simultanément de grands écarts de luminosité.
On est déjà là dans l’incapacité de reproduire la réalité.
• L’ALGORITHME DE TRAITEMENT DES CAPTEURS
De plus, dans chaque appareil photo numérique se trouve un algorithme de traitement des images dont les réglages sont différents selon les marques (tout comme les différentes marques de pellicules photo). Ainsi, en prenant en photo une même scène avec les mêmes réglages, mais avec des appareils photo de différentes marques, nous obtiendrons autant d’images différentes, en terme notamment de couleurs.
Lorsqu’une image est capturée, que ça soit en fichier RAW, soit brut, ou en JPEG, soit l’interprétation arbitraire du fichier brut par le processeur de l’appareil photo afin d’optimiser l’image, de la retoucher et de retravailler les couleurs pour qu’elle soit immédiatement utilisable, non seulement l’image ne correspond pas forcément à la réalité du terrain, par des contrastes souvent légers et des couleurs trop saturées, mais en plus, l’image est alors déjà une interprétation de cette réalité qu’il est impossible de reproduire.
Dans ce cas, choisir de ne pas traiter ses photographies, c’est laisser à son appareil photo des choix essentiels qui ne devraient revenir qu’au photographe, évidemment mieux placé pour savoir ce qu’il a vu et ressenti au moment de la prise de vue. Retoucher ses photographies permet non seulement d’améliorer ses images, mais en plus de les rendre plus fidèles à la réalité.
• LE CHOIX À LA PRISE DE VUE
D’autre part, au moment de prendre une photo, nous faisons toujours des choix qui impliquent une interprétation de la réalité : nous choisissons la lentille pour notre prise de vue (un grand angle peut déformer les perspectives quand un 22mm se rapproche le plus de la vision humaine), éventuellement l’ajout d’un filtre sur notre lentille, puis notre cadrage qui y inclut ou exclut des éléments, puis nos réglages où l’on peut sur-exposer ou sous-exposer par exemple. Et que dire de la réalité d’une photographie en noir et blanc? Il existe une multitude de possibilités de photographier une même scène, qui donneront des résultats profondément différents.
Cette liberté fondamentale du photographe fait que nous sommes déjà dans une déformation, ou plutôt, une interprétation de la réalité.
• UNE RÉALITÉ BIEN RELATIVE
Enfin, de quelle réalité parlons-nous, et existe-t-elle dans l’absolu?
Chacun voit sa propre réalité, et la raison est simple : nous voyons plusieurs images en même temps, et nos yeux nous amènent à rechercher constamment les éléments manquants à notre champ visuel réduit, pour construire une image plus ou moins fidèle de la réalité. Notre cerveau recoupe ensuite les informations et comble les images manquantes en imaginant de manière imprécise les couleurs et les formes. Chaque image que nous percevons n’est alors jamais totalement la réalité, mais une composition de notre cerveau faite de perceptions et sensations visuelles.
Ainsi, une photographie ne ressemblera jamais exactement à ce que nous observons, ou croyons observer, à l’oeil nu, et en voulant « montrer la réalité », on chercherait à montrer une fausse réalité.
5. ALORS RETOUCHER, C’EST TRICHER?
« Tricher », c’est « Ne pas respecter, dans certaines circonstances, les conventions, les usages qui s’y attachent, en feignant néanmoins de s’y conformer. / Tromper sur la nature, la valeur, etc. de quelque chose. »
En suivant cette définition, tricher ça serait dire que ma photo est une représentation fidèle de la réalité.
Or, comme nous l’avons vu, une photographie délivrée par un capteur (ou une pellicule) se base sur une réalité imparfaite et l’interprète selon un algorithme, mais ne la retranscrit pas.
Retoucher ses photos, c’est alors corriger ces imperfections et terminer le travail d’interprétation fait au moment de la prise de vue en choisissant un parti pris et en affirmant son style.
Il faut simplement éviter de tomber dans l’excès au risque de dénaturer notre image. De plus, la limite de la retouche se situe lorsque l’on fait en sorte de faire correspondre la réalité à une idée plutôt qu’à une perception, car dans ce cas, nous sortons du domaine créatif ou informatif pour entrer dans le domaine de la propagande. Enfin, modifier les éléments d’une image ne peut être condamnable, car dommageable, uniquement dans le cadre du photo-journalisme.
Retoucher ses photos n’est donc pas tricher, et au contraire, c’est le prolongement de son travail de création.
Photo de couverture : © Art Snob Solutions by Wanda Kamarga
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